Leçon #1 : repenser la productivité durable
- gpcoachinglab
- 17 sept.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 sept.

En architecture, nous concevons pour la durabilité : des bâtiments économes en énergie, résilients et conçus pour durer.
Pourtant, dans nos vies professionnelles, nous faisons souvent l’inverse. Nous sacrifions notre santé, nos relations et notre créativité au profit des délais.
C’est ce que j’appelle le paradoxe de l’architecte : bâtir pour la longévité tout en négligeant la nôtre.
Cette série explore comment les architectes — et plus largement les créatifs — peuvent combler cet écart. Dans la Leçon #1, nous repenserons ce que signifie vraiment la productivité, et comment sa redéfinition peut transformer à la fois notre travail et notre vie.
Quand le paradoxe se manifeste au fil du quotidien
Ces situations vous sembleront peut-être familières :
Vous peaufinez chaque détail de projet jusque tard dans la nuit, dopé·e à la caféine, sacrifiant sommeil et santé… tout en vantant ce même bâtiment pour sa lumière naturelle et sa qualité d’air supérieure.
Vous concevez des espaces pensés pour le bien-être des occupants, mais vous acceptez douleurs dorsales, maux de tête et stress comme faisant partie du métier.
Vous prônez le design durable, mais votre processus repose sur des habitudes intenables : longues heures, révisions interminables, disponibilité constante.
Ces contradictions ne se limitent pas à l’architecture. On les retrouve dans les start-up technologiques, les agences de publicité, les studios de cinéma, voire le milieu universitaire. Mais en architecture, elles sont particulièrement ancrées — presque mythifiées.
On nous répète que c’est cela, être architecte :
Générer une infinité d’options.
Poursuivre la perfection, même lorsqu’elle est irréaliste.
S’acharner sur des détails qui ne verront jamais le chantier.
Produire une documentation sans fin, dont une grande partie ne sera jamais utilisée.
Bien sûr, les options comptent et la documentation est souvent nécessaire. Mais trop souvent, nos méthodes gaspillent du temps, épuisent l’énergie et érodent la créativité.
Je l’ai vu trop de fois : le manque de concentration déguisé en créativité, l’absence de structure justifiée par « c’est comme ça que ça marche ». Comme si être créatif signifiait nécessairement être chaotique.
Quelques précisions importantes :
Nous ne sommes pas des artistes. L’architecture implique de la créativité, oui, mais aussi de la rigueur, de la précision et des connaissances techniques. Comme les ingénieurs, nous sommes à la fois techniciens et concepteurs.
Nous travaillons en équipe. Ingénieurs, géomètres, spécialistes… tous s’appuient sur des processus structurés. Pourquoi les architectes ne devraient-ils pas, eux aussi, exiger efficacité et clarté ?
La coordination n’est pas une excuse. Oui, nous dépendons des autres pour obtenir des informations. Mais attendre des contributions ne devrait pas justifier l’inefficacité. Les excuses ne font que renforcer des habitudes nocives. (Nous approfondirons ce point dans la Leçon n°2 : Redéfinir les limites.)
Le coût d’une productivité dépassée
Si nous restons enfermés dans le modèle dépassé — productivité = plus d’heures, plus de production, plus de perfection — les conséquences sont bien réelles et dommageables :
Épuisement et perte d’efficacité. Un esprit fatigué fait plus d’erreurs. La créativité s’assèche. Les grands cabinets survivent parfois grâce à un fort turnover, mais pour les plus petits, la perte de talents est dévastatrice.
Déclin du bien-être. Privation de sommeil, problèmes de dos, relations fragilisées… rien de tout cela n’est inévitable : ce sont les symptômes de priorités mal placées. Le travail doit faire partie de la vie, non pas la remplacer.
Érosion de la profession. Les talents s’en vont. Le savoir disparaît. Les cultures d’agence se dégradent. Que reste-t-il ? Une construction sans architecture — des bâtiments privés de sens, de créativité et de soin.
Qualité compromise. Ironie du sort : courir après le “toujours plus” conduit souvent à de moins bons résultats. Les sprints ponctuels sont normaux ; en faire la norme corrode à la fois le processus et le produit.
Lorsque ces dérives deviennent la norme, la profession perd non seulement des individus, mais aussi la possibilité même de produire de meilleurs bâtiments. Le paradoxe se dévore lui-même.
Un modèle plus sain de productivité durable pour architectes
Alors, à quoi ressemblerait un modèle de productivité durable pour les architectes?
1. La qualité plutôt que la quantité. Quelques heures de travail concentré et énergisé valent mieux que des nuits de production épuisée. Pensez à la différence entre peiner sur un dessin à 2 h du matin et trouver la solution immédiatement le lendemain matin, l’esprit frais. Ce n’est pas de la chance — c’est la puissance du repos.
2. Fixer des limites saines. Définissez vos horaires de travail et communiquez-les clairement. Protégez vos moments hors travail : pas d’e-mails, pas de « je vérifie juste ». Consacrez ce temps à l’extérieur, aux amis, au mouvement ou au calme. Paradoxalement, s’éloigner du travail le rend souvent plus léger et plus clair quand on y revient.
3. Prioriser le repos et la récupération. Le sommeil n’est pas du temps perdu. Les pauses ne sont pas des caprices. Les week-ends ne sont pas optionnels. Ce sont des cycles de récupération qui rendent la créativité possible. La culture des nuits blanches dans les écoles d’architecture a instauré un précédent toxique. Il est temps de la désapprendre.
4. Mesurer les résultats, pas les heures. Sortons de la logique des heures passées ou du nombre de planches produites. Mesurons plutôt :
La clarté du projet
La satisfaction du client
L’innovation et l’originalité
La motivation et le bien-être de l’équipe
La réflexion, l’itération et l’apprentissage doivent compter autant que la rapidité et le volume.
5. Construire des structures de soutien. Mentorat, groupes de pairs, gestion collaborative des charges de travail, cultures d’agence qui valorisent le bien-être… voilà ce qui soutient à la fois la créativité et les personnes.
Demander du soutien — qu’il vienne de collègues ou de professionnels — n’est pas une faiblesse. C’est un acte de courage.
Une expérience simple
Pendant une semaine, ancrez votre productivité non pas sur les heures travaillées, mais sur de petites habitudes répétables.
1. Commencez par un plan de 10 minutes. Chaque matin, notez vos trois priorités principales. Gardez-les réalistes et alignées avec vos objectifs de fond. Traitez ces tâches en premier — avant de consulter vos e-mails, messages ou autres sollicitations.
2. Utilisez la « règle du 90/15 ». Travaillez par blocs de 90 minutes de concentration, suivis de 15 minutes de pause. Protégez ces blocs comme des réunions : pas d’e-mails, pas de notifications, pas de multitâche. Utilisez la pause pour bouger, vous étirer ou vous ressourcer — pas pour plus d’écran.
3. Installez un rituel de clôture. Terminez votre journée par une routine de 5 minutes :
Passez en revue ce que vous avez accompli
Notez les tâches inachevées pour demain
Fermez votre ordinateur et coupez vos notifications professionnelles
Ce rituel simple signale à votre cerveau que la journée de travail est terminée.
4. Remplacez une habitude épuisante. Choisissez une habitude qui vous fait perdre de l’énergie (ex. consulter vos e-mails tard le soir, sauter le déjeuner, revoir indéfiniment vos plans). Remplacez-la par une micro-habitude plus saine (ex. traiter les e-mails deux fois par jour, une courte marche, une limite fixe de relectures).
5. Protégez une habitude de récupération. Choisissez une action quotidienne non négociable qui vous ressource — marche, étirements, écriture, cuisine. Considérez-la comme un carburant essentiel pour la créativité du lendemain.
À la fin de la semaine, réfléchissez : Quelles habitudes ont tenu ? Lesquelles semblaient forcées ? Laquelle a eu l’impact le plus positif ? L’objectif n’est pas de réinventer votre vie en sept jours, mais de tester de petits changements et de découvrir ce qui fonctionne réellement pour vous.
Pourquoi ça marche : La prise de conscience déclenche le changement, mais ce sont les habitudes qui le maintiennent. De petites actions répétables réduisent la fatigue décisionnelle, créent de la structure et libèrent de l’espace mental pour la conception et la créativité.
Pourquoi ce n’est qu’un début
Repenser la productivité n’est que la première étape pour combler le paradoxe de l’architecte. Les prochaines leçons aborderont les limites, les réseaux de soutien, les changements systémiques dans les agences, et la manière dont le soin de soi est aussi un soin professionnel.
Car voici la vérité : le bâtiment le plus durable du monde a peu de sens si l’architecte qui l’a conçu quitte la scène.
Notre profession ne s’épanouit que lorsque nous concevons non seulement des bâtiments faits pour durer, mais aussi des carrières, des pratiques et des vies tout aussi durables.
✦ Et pour vous, que signifie « productivité » ? Quelle habitude de productivité avez-vous changée et qui a eu le plus grand impact sur la qualité de votre travail ? J’aimerais beaucoup lire vos réflexions en commentaire.



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