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Le paradoxe des architectes : durabilité vs réalité


architectes: durabilité vs realité

Quand un mème révèle une vérité plus profonde

Ce mème est apparu sur mon écran et je me suis arrêté·e pour vraiment le regarder. Je ne l’ai pas trouvé drôle. Son contenu ne m’a pas non plus surpris·e. Ce que j’ai ressenti, c’est une vague de frustration — non pas à cause du mème lui-même, mais à cause de ce qu’il représente.


Ces images circulent largement dans nos réseaux professionnels, et elles révèlent un paradoxe troublant : les architectes sont parfaitement conscients de leurs difficultés professionnelles, et pourtant nous acceptons cette réalité comme si elle était totalement intouchable. Nous partageons, nous rions nerveusement, puis nous retournons à notre bureau pour une nouvelle journée de 14 heures.


Et si le vrai problème, c’était justement cette acceptation ? Et s’il existait une autre voie ?

L’ironie : prôner la durabilité tout en travaillant de façon non durable

L’architecture est une profession qui se targue d’avoir une vision. Nous concevons pour un avenir meilleur — plus vert, plus sain, plus résilient. Nous calculons les empreintes carbone, spécifions des matériaux renouvelables, concevons pour la longévité. Et pourtant, derrière les portes de l’agence, un paradoxe se joue : alors que nous défendons des bâtiments durables, nous travaillons souvent de manière profondément insoutenable pour nous-mêmes.


Nous prêchons la création de bâtiments qui dureront des générations… tout en créant des environnements de travail qui peinent à nous porter jusqu’à la fin d’un projet.Nous défendons la gestion responsable des ressources… tout en épuisant sans compter notre ressource la plus précieuse : nous-mêmes.


Comment pouvons-nous défendre authentiquement la durabilité quand nous n’avons pas encore trouvé le moyen de rendre notre propre profession durable ?

C’est cela, le paradoxe des architectes — et il mérite plus qu’un simple constat. Il appelle une conversation honnête sur la culture de notre métier et sur la manière dont nous pouvons concevoir non seulement de meilleurs bâtiments, mais aussi de meilleures façons de travailler.


La culture que nous avons créée

La profession d’architecte a développé une relation particulière avec la difficulté.

J’ai étudié et travaillé dans plusieurs pays, rencontré des collègues venus de divers horizons, et le problème ne semble connaître que peu, voire pas de frontières.

Demandez à un·e architecte de décrire sa semaine de travail, et vous entendrez des histoires de nuits blanches, de délais interminables et du rituel bien connu de la “nuit blanche”. Cette culture est portée presque comme un insigne d’honneur.


En chemin, nous avons confondu dévouement et autodestruction, passion et exploitation.Nous avons créé une culture où travailler jusqu’à 3 heures du matin est vu comme une médaille, où “tirer une nuit blanche” est un rite de passage plutôt qu’un signal d’alarme.


Le plus dangereux n’est pas le travail exigeant en soi — c’est la manière dont nous l’avons normalisé.

Nous utilisons des phrases comme :

  • “C’est comme ça que marche le métier.”

  • “Il faut en baver au début.”

  • “Si tu ne supportes pas la pression, l’architecture n’est pas faite pour toi.”

  • “La grande architecture exige des sacrifices.”

Ces mantras sont devenus notre évangile professionnel, répétés si souvent que nous ne questionnons même plus leur véracité.


Mais le prix est lourd :

  • Burnout généralisé: Une enquête de 2022 du Architects’ Journal a révélé que près de 60 % des architectes souffraient de problèmes de santé mentale liés au stress.

  • Faible rétention: Beaucoup de professionnel·les talentueux·ses quittent la profession dans les dix ans, citant des charges de travail intenables.

  • Moins de diversité: Les horaires longs et rigides excluent de façon disproportionnée les aidants, les femmes, et ceux qui n’ont pas de filet de sécurité financière.


L’ironie ? Nous concevons avec en tête l’efficacité énergétique, la réduction du carbone, et le bien-être humain — et pourtant nos propres pratiques vont souvent à l’encontre de ces mêmes principes.

Pourquoi travaillons-nous de façon insoutenable ?

Il est tentant de voir cela comme un échec individuel (“Je devrais mieux fixer mes limites”). Mais la réalité est culturelle et systémique :

  • Délais et exigences clients : une industrie structurée autour de la vitesse et de la compétition, laissant peu de place à un travail plus réfléchi.

  • Culture du prestige : les longues heures sont normalisées comme preuve de passion et de dévouement. “Si tu ne souffres pas, tu n’es pas un vrai architecte.”

  • Modèles économiques : beaucoup d’agences sous-évaluent leurs honoraires, absorbant des charges irréalistes plutôt que de négocier une rémunération juste.

  • Éducation : les écoles glorifient la “critique” et la nuit blanche, préparant les étudiant·es au surmenage plutôt qu’à l’équilibre.


Cet écosystème nous entraîne à croire que le surtravail est normal. Mais tout comme nous ne concevrions pas un bâtiment voué à s’effondrer sous son propre poids, nous ne pouvons pas bâtir une profession sur l’auto-épuisement.

Le véritable coût de l’acceptation

Pendant que nous acceptons l’inacceptable, des architectes talentueux quittent la profession, car ils font un choix rationnel : leur santé, leurs relations et leur qualité de vie comptent plus qu’un environnement toxique.


Quand des architectes s’épuisent et partent, nous ne perdons pas seulement des individus — nous perdons des perspectives diverses, des idées innovantes, des approches nouvelles face aux défis. Nous perdons des voix qui auraient pu remettre en cause le statu quo et créer un changement positif.


Vers une pratique durable

Passer de la plainte à l’action demande du courage, de la stratégie et souvent du soutien professionnel.

Alors, comment aligner les valeurs que nous appliquons aux bâtiments avec celles que nous appliquons à nous-mêmes ?


Voici ce que j’ai appris en accompagnant des professionnel·les dans des environnements sous pression : il n’existe pas une seule manière de pratiquer l’architecture.


Comme coach, j’ai travaillé avec des architectes qui se sentaient piégés par les attentes du métier, persuadés qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de sacrifier leur bien-être pour leur carrière.


Ensemble, nous avons pu :

  • Redéfinir le succès : célébrer l’efficacité, la clarté, la créativité — pas le sacrifice.

  • Clarifier les valeurs et les non-négociables personnels.

  • Mettre en place des limites saines : pas de mails après une certaine heure, week-ends protégés, cadrage clair avec les clients pour éviter le scope creep.

  • Créer des stratégies pour gérer des charges exigeantes sans épuisement.

  • Améliorer la communication pour poser des limites avec clients et collègues.

  • Acquérir des outils pour maintenir créativité et passion tout en protégeant sa santé mentale.

  • Élaborer des plans d’action pour changer positivement son poste actuel ou trouver de meilleures opportunités.

  • Montrer l’exemple : quand les dirigeants quittent le bureau à une heure raisonnable, les juniors se sentent autorisés à en faire autant.

  • Introduire des micro-actions : suivre ses heures, poser une limite claire, discuter franchement avec un collègue. Ces petites étapes construisent l’élan d’un changement culturel plus large.


Votre parcours professionnel n’a pas à suivre un seul script

Si vous vous reconnaissez dans cette tension entre aimer l’architecture et se sentir écrasé par ses exigences, sachez ceci : vous avez plus d’options que vous ne l’imaginez.

La conception durable ne concerne pas seulement les matériaux, les modèles énergétiques ou les certifications. Elle consiste à créer des conditions où la vie peut s’épanouir. Ce principe s’applique autant aux personnes qui pratiquent l’architecture qu’à celles qui habitent nos bâtiments.


Le paradoxe auquel nous faisons face n’est pas inévitable. D’autres industries évoluent déjà vers des cultures plus saines, reconnaissant que la créativité et l’innovation ne s’épanouissent pas dans l’épuisement chronique. L’architecture peut en faire autant, si nous le décidons.


La question n’est pas de savoir si le changement est possible.

La question est : 👉 êtes-vous prêt·e à en faire partie ?


Faire le premier pas — un appel aux architectes

Le premier pas est simple : en parler. Remettre en cause l’idée non dite que souffrir fait partie du métier. Partager vos expériences. Exiger mieux.


Parce que si nous pouvons concevoir des bâtiments qui durent des siècles, alors nous pouvons certainement concevoir une profession qui nous soutienne toute une vie.

La transformation commence par la conviction que le chemin le plus fréquent n’est pas le seul, et par le courage de regarder notre réalité en face : est-ce que la vie que nous menons est bien celle que nous voulons et que nous méritons ?

👉 Ce test pourrait vous aider à le découvrir.

 
 
 

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